Par un arrêt en date du 11 janvier 2023, la Cour de cassation a jugé qu’une personne physique, signataire d’un bail commercial pour le compte d’une société preneuse alors en cours de constitution et d’immatriculation, ne pouvait bénéficier, une fois cette société constituée et immatriculée, d’un pacte de préférence portant sur l’immeuble dans lequel étaient compris les locaux loués, les engagements du preneur aux termes du bail étant réputés avoir été souscrits par celle-ci à la date de signature du bail.
En l’espèce, un bailleur a conclu un bail commercial en novembre 2014 avec une personne physique, agissant tant à titre personnel qu’au nom et pour le compte de la société qu’elle se réservait de constituer ultérieurement. Le bail conclu comportait à cet effet une clause de substitution au bénéfice de ladite société dès l’immatriculation de celle-ci, la personne physique signataire du bail se portant par ailleurs caution solidaire des engagements de cette société à l’égard du bailleur. La société a finalement été constituée et immatriculée au registre du commerce et des sociétés en mai 2015.
La société a ensuite été placée en redressement judiciaire en juin 2018, procédure convertie en liquidation judiciaire en novembre 2018.
Dans ce contexte, le bailleur, après avoir délivré plusieurs commandements de payer visant la clause résolutoire prévue au bail, a finalement notifié au liquidateur judiciaire, courant novembre 2018, la résiliation du bail pour le compte exclusif de la société sous procédure collective. La personne physique signataire du bail a revendiqué la qualité de preneur au titre du bail commercial pour invoquer le bénéfice du pacte de préférence stipulé dans le bail en cas de vente de l’immeuble.
Début juin 2019, la société en question (qui avait acquis au cours du trimestre précédent l’immeuble dans lequel étaient situés les locaux loués) ainsi que l’ancien bailleur ont assigné la personne physique signataire du bail aux fins, notamment, de voir juger que seule la société qu’elle avait constituée était titulaire du bail commercial et bénéficiaire du pacte de préférence.
La personne physique a alors revendiqué, à titre reconventionnel, la nullité de la vente au motif qu’elle serait intervenue en violation du pacte de préférence ainsi que la réparation du préjudice en résultant. Pour cela, elle a notamment soutenu, dans le cadre de son pourvoi en cassation :
- l’existence d’une co-titularité du bail commercial ;
- que les juges du fond auraient dénaturé les stipulations du bail, lesquelles prévoyaient qu’en cas de mise en vente de l’immeuble dans lequel étaient situés les locaux loués, la personne physique signataire bail : « aura priorité et préférence pour l’acquisition dudit immeuble » ; et
- que la reprise des engagements par la société ne prive pas le preneur, qui conclut le bail commercial tant en son nom personnel qu’au nom et pour le compte de la société, du bénéfice du pacte de préférence stipulé dans le bail en sa qualité de preneur.
Pour rejeter les demandes du preneur, la Cour de cassation a notamment retenu que :
- aucune des clauses du bail ne prévoyait l’existence de deux co-titulaires, ni « celle d’une obligation conjointe et solidaire entre eux » ;
- les stipulations du bail étaient notamment intégralement rédigées en se référant au preneur au singulier et prévoyaient par ailleurs que la personne physique signataire du bail : « s’engageait à faire toutes diligences pour requérir dans les meilleurs délais l’immatriculation de ladite société au registre du commerce et des sociétés », de telle sorte que la Cour d’appel compétente avait justement pu en déduire : « qu’il résultait de la commune volonté des parties que les locaux ne fussent donnés à bail qu’à un seul preneur », la société constituée se substituant, dès son immatriculation, à la personne physique signataire du bail, intervenue à l’acte sous le régime juridique des sociétés en formation.
En conséquence, la Cour de cassation a pu retenir que « la clause du bail, stipulant un pacte de préférence en cas de vente de l’immeuble, ne pouvait bénéficier, une fois celle-ci immatriculée, qu’à la société preneuse, prise en la personne de sa dirigeante, et non à la personne physique signataire initiale du bail, prise à titre personnel ».