Le Tribunal judiciaire de Paris a déclaré, le 22 septembre 2022, nul et sans effet le commandement de payer visant la clause résolutoire délivré par le bailleur pendant la crise sanitaire en caractérisant la mauvaise foi du bailleur.
Dans cette affaire, le bailleur et le preneur ont conclu un bail commercial portant sur un local pour l’exercice de l’activité « Café, Tabac, (…) Brasserie, Loto, PMU (…) ».
Dans le contexte de la crise sanitaire, le preneur a sollicité, par courrier du 30 juin 2020, « des aménagements sur les montants et les échéances des loyers convenus » du 2T 2020 et du 3T 2020, « compte tenu des difficultés financières rencontrées d’une part du fait des restrictions sanitaires imposées par le confinement et d’autre part en raison des conséquences des restrictions maintenues après le confinement ».
Sans donner suite à cette demande, le bailleur a adressé une lettre de mise en demeure de régulariser les impayés locatifs. La lettre de mise en demeure est restée infructueuse. Par suite, le bailleur a fait délivrer, le 9 novembre 2020, un commandement de payer visant la clause résolutoire.
Le Tribunal judiciaire de Paris a déclaré nul et sans effet le commandement de payer visant la clause résolutoire en considérant qu’il a été délivré de mauvaise foi par le bailleur, après avoir relevé que :
– « loin d’accepter la proposition d’aménagement » du preneur, le bailleur a adressé une lettre de mise en demeure de régler les impayés locatifs « sans mention d’un quelconque accord, ni d’une contre-proposition de sa part quant à la possibilité de voir la dette aménagée » ;
– le bailleur a ensuite délivré un commandement de payer visant la clause résolutoire « dix jours après la mise en place des restrictions sanitaires instaurées le 30 octobre 2020 par décret du 29 octobre 2020 » ;
– « en dépit du contexte sanitaire prégnant et des restrictions gouvernementales affectant particulièrement les établissements de restauration », le bailleur a poursuivi ses diligences de recouvrement des loyers « sans faire la moindre proposition d’échelonnement de la dette ».
Le Tribunal judicaire, à l’appui de sa décision d’annulation du commandement de payer, a en outre relevé que « cet enchaînement de démarches coercitives » alors que le bailleur « ne pouvait ignorer les contraintes auxquelles sa locataire était confrontée, est de nature à maintenir une pression sur le débiteur dont les difficultés étaient manifestes et par suite, à caractériser un manquement » du bailleur « à son obligation d’exécuter les contrats de bonne foi » (article 1104 du Code civil).
En conséquence, le Tribunal judicaire a débouté le bailleur de sa demande de voir constater l’acquisition de la clause résolutoire.
Ce jugement peut être rapproché de l’un des arrêts rendus par la Cour de cassation (Cass. civ. 3ème, 30 juin 2022, n° 21-20.90), commenté sur ce blog sous ce lien, portant sur une affaire où le bailleur « avait pratiqué trois semaines seulement après la fin du confinement une mesure d’exécution forcée à l’encontre de son débiteur pour obtenir le paiement des loyers échus pendant la fermeture des locaux et ce, sans tentative préalable de renégociation du contrat pour l’adapter aux circonstances, autre qu’une proposition de report d’un mois de loyer sous la forme d’un commandement de payer ». Dans cette affaire, la Cour de cassation a approuvé la Cour d’appel qui, après avoir constaté que ledit bailleur avait vainement proposé de différer le règlement du loyer d’avril 2020, « en a souverainement déduit que [ce dernier] avait tenu compte des circonstances exceptionnelles et ainsi manifesté sa bonne foi ». Ainsi, les juges semblent : – examiner au cas par cas le comportement des parties en adoptant une approche circonstanciée pour déterminer si l’une d’elles a manqué à son obligation de bonne foi ; |
Par ailleurs, outre le constat de l’acquisition de la clause résolutoire, le bailleur sollicitait la résiliation judiciaire du bail sur le fondement de l’article 1184 (ancien) du Code civil. Le Tribunal judiciaire a débouté le bailleur aux motifs que la faute reprochée au preneur « n’est pas suffisamment grave pour justifier la résiliation judiciaire du bail » dans la mesure où la dette locative était « uniquement constituée d’arriérés de loyers et de charges ayant débuté lors du premier confinement, en l’absence d’impayés antérieurs » et que « le faible montant de la dette a fait l’objet de paiement avant même la délivrance du commandement de payer« .
On relèvera enfin que, dans la continuité des arrêts du 30 juin 2020 (commentés sur ce blog sous ce lien), le Tribunal judiciaire de Paris a écarté tous les moyens invoqués par le preneur pour se soustraire à son obligation de paiement de loyers et charges pour les périodes de confinement, notamment la destruction de la chose louée (article 1722 du Code civil) et le manquement du bailleur à son obligation de délivrance (article 1719 du Code civil).