Dans un jugement rendu le 20 janvier 2022, le Tribunal judiciaire de Paris a écarté tous les moyens invoqués par le preneur, en ce compris l’article 1722 du Code civil (destruction de la chose louée), pour contester son obligation de paiement au titre du bail dans le contexte de la crise sanitaire.
Dans cette affaire, le bailleur et le preneur ont conclu un bail commercial portant sur des locaux à usage exclusif de « fabrication et vente à consommer sur place et à emporter de tous produits de boulangerie, pâtisseries, viennoiseries et, plus généralement, de tous les produits à base de pâte salée ou sucrée, avec ou sans accompagnement, restauration, salon de thé, glaces, boissons chaudes et froides, confiseries ».
Pour se soustraire à son obligation de paiement de loyers et charges pour les périodes de confinement, le preneur a invoqué plusieurs moyens juridiques, notamment : la destruction de la chose louée (article 1722 du Code civil), la force majeure (article 1218 du Code civil), l’exception d’inexécution (article 1219 du Code civil), un manquement du bailleur à son obligation de bonne foi (article 1104 du Code civil) ou encore une adaptation de la force exécutoire du bail, découlant de la mise en œuvre de dispositions spéciales dans le contexte de la pandémie de la Covid-19.
Le Tribunal judiciaire de Paris a écarté tous les moyens ainsi invoqués, pour les motifs suivants :
- la destruction de la chose louée, au motif que si le preneur « n’a pas pu développer pleinement toute la palette d’activités autorisées par le bail, notamment l’activité de restauration sur place dont elle échoue à démontrer le caractère essentiel en termes de résultats d’exploitation, il est établi que l’impossibilité alléguée d’exploiter les locaux pris à bail par [le preneur], du fait des mesures administratives adoptées dans le cadre de l’état d’urgence sanitaire, résulte bien en l’espèce d’une partie de la nature de l’activité économique exercée dans les lieux loués et non de la chose louée elle-même, qui n’est détruite ni en totalité, ni partiellement ».
- la force majeure, au motif que « s’agissant d’une obligation contractuelle de somme d’argent, la société débitrice ne peut s’exonérer de tout paiement en invoquant un cas de force majeure par nature irrésistible, imprévisible et insurmontable », que le preneur « a vu ses besoins en trésorerie pour l’année 2020 couverts par la société mère ayant disposé de certaines aides étatiques » et qu’il « ne produit pas d’éléments de comptabilité certifiés permettant de justifier » qu’il « été effectivement placée dans l’impossibilité financière de faire face à ses différents engagements contractuels ».
- l’exception d’inexécution, au motif que :
- l’activité du preneur n’a pas été « affectée par une interdiction administrative, dès lors que l’arrêté du 14 mars 2020 portant diverses mesures relatives à la lutte contre la propagation du virus Covid-19 n’a pas interdit d’accueil du public pour les locaux de catégorie M à savoir les magasins de vente et notamment ceux de commerce de détail de pains, pâtisseries et confiseries en magasin spécialisé dont relève son établissement » ;
- « la cessation temporaire d’exploitation de la boutique, lors du premier confinement, au motif allégué de la fermeture du magasin PRINTEMPS et de l’absence de la clientèle des bureaux à une période de travail à distance des salariés, relève d’un choix de pure gestion [du preneur] et ne découle pas d’une interdiction faite au public d’accéder à ce type de commerce en période de limitation des déplacements» ;
- « la société locataire qui a, durant toute cette période, pu stocker ses matériels et marchandises dans les lieux donnés à bail, pouvait également s’y rendre pour préparer des plats à emporter puisque le bail l’y autorisait et que les décrets [applicables] ouvraient cette faculté aux établissements de restauration, au-delà de l’autorisation d’ouverture dont elle disposait déjà pendant toute la période du premier confinement au titre du commerce de détail de pains, pâtisseries et confiseries».
- un manquement du bailleur à son obligation de bonne foi, au motif que « la société locataire ne peut pas au surplus se prévaloir en l’espèce d’une exécution de mauvaise foi du bail par la SCI alors qu’elle n’a pas proposé une adaptation des modalités d’exécution de ce contrat mais a sollicité une annulation pure et simple de tous loyers et charges et subsidiairement, une réduction des loyers et charges des 2ème, 4ème trimestres 2020, 1er et 2ème trimestres 2021 ».
- l’adaptation de la force exécutoire du bail découlant de la mise en œuvre de dispositions spéciales, au motif notamment que « s’il est justifié de circonstances exceptionnelles pendant le cours de la crise sanitaire, incitant les parties au contrat à vérifier si ces circonstances ne rendaient pas nécessaire une adaptation des modalités d’exécution de leurs obligations respectives, ce devoir relevant de l’obligation d’exécuter de bonne foi les conventions n’autorise pas pour autant une partie à s’abstenir unilatéralement d’exécuter ses engagements et ne fonde pas une dispense pour le locataire d’honorer les loyers demeurant exigibles. Son irrespect ne peut en effet avoir pour autre sanction que d’engager la responsabilité éventuelle des parties au contrat. »
Si ce jugement s’inscrit dans la continuité d’autres décisions portant sur tout ou partie des moyens susvisés (par exemple, TJ de Paris, 28 octobre 2021, n°16/13087), certains juges du fond ont adopté une position contraire, notamment en retenant l’application de l’article 1722 du Code civil (destruction de la chose louée) pour autoriser le preneur à se soustraire à son obligation de paiement du loyer pendant les périodes de fermeture administrative liées à la crise sanitaire (par exemple, TJ de La Rochelle, 23 mars 2021, n°20/02428 ou TJ de Toulouse, 1er juillet 2021, n°21/02415)
TJ de Paris, 20 janvier 2022, n° 20/06670