Son avis était très attendu : interrogé par la Cour administrative d’appel de Douai sur les conditions d’application du régime de protection des espèces protégées et de leurs habitats, le Conseil d’Etat a rendu le 9 décembre 2022 un avis contentieux apportant des précisions essentielles en la matière.
A l’occasion d’un litige dans lequel une association de protection de l’environnement a contesté la construction d’un parc éolien, le Conseil d’Etat s’est vu transmettre deux questions concernant le régime de la dérogation « espèces protégées » prévue à l’article L. 411-2 du Code de l’environnement.
Dans un premier temps, le Conseil d’Etat rappelle pédagogiquement les dispositions de la directive 92/43/CEE concernant la conservation des habitats naturels ainsi que de la faune et de la flore sauvage et celles de la directive 2009/147/CE concernant la conservation des oiseaux sauvages, dont le régime a été transposé aux articles L. 411-1 et suivants du Code de l’environnement.
Puis, au regard de ces dispositions, le Conseil d’Etat remémore les trois conditions cumulatives permettant de déroger à l’interdiction de porter atteinte aux espèces protégées et à leurs habitats :
- l’absence « de solution alternative satisfaisante» ;
- ne pas « nuire au maintien, dans un état de conservation favorable, des populations des espèces concernées dans leur aire de répartition naturelle »;
- la « justification de la dérogation par l’un des cinq motifs limitativement énumérés» à l’article L. 411-2, 4° du Code de l’environnement dont la désormais fameuse RIIPM (la raison impérative d’intérêt public majeur).
S’agissant du déclenchement de l’obligation d’avoir à formuler une demande de dérogation, le Conseil d’Etat précise d’une part que la question de la nécessité d’obtenir une dérogation doit être examinée dès lors que « des spécimens de l’espèce concernée sont présents dans la zone du projet, sans que l’applicabilité du régime de protection dépende, à ce stade, ni du nombre de ces spécimens, ni de l’état de conservation des espèces protégées présentes ». A cet égard, le raisonnement est similaire à celui retenu par la Cour de cassation dans son arrêt n°21-16.404 du 30 novembre 2022 ( voir notre article ), puisque qu’il impose aux porteurs de projet d’être proactifs pour déterminer si l’obtention d’une dérogation « espèces protégées » est requise ou non.
D’autre part, le Conseil d’Etat indique que le pétitionnaire doit obtenir une telle dérogation « si le risque que le projet comporte pour les espèces protégées est suffisamment caractérisé ». A ce titre, « les mesures d’évitement et de réduction des atteintes portées aux espèces protégées proposées par le pétitionnaire doivent être prises en compte ». Si ces mesures présentent, sous le contrôle de l’administration, « des garanties d’effectivité telles qu’elles permettent de diminuer le risque pour les espèces au point qu’il apparaisse comme n’étant pas suffisamment caractérisé, il n’est pas nécessaire de solliciter une dérogation ». Ceci étant, il faut noter que le Conseil d’Etat reste flou et ne définit pas la notion de risque « suffisamment caractérisé », laquelle fera donc sûrement débat.
Enfin, en ce qui concerne la délivrance de la dérogation en elle-même, l’administration devra notamment, sous le contrôle du juge, prendre en compte les « mesures d’évitement, réduction et compensation proposées par le pétitionnaire » et « l’état de de conservation des espèces concernées ».