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3 mai 2024

Des effets fiscaux de la symétrie : les pertes définitives d’une succursale étrangère ne sont pas déductibles en France

« Rien ne serre le cœur comme la symétrie. C’est que la symétrie, c’est l’ennui », dit Victor Hugo (Les Misérables, II, 4, 1.).

Dans la fameuse décision Marks & Spencer du 13 décembre 2005 (aff. 446/03, Gr. Ch.), la Cour de justice de l’Union européenne a déclaré contraire à la liberté d’établissement l’impossibilité pour une société de déduire les pertes définitives subies par une filiale établie dans un autre Etat membre, lorsque la législation interne de l’Etat de cette société mère permet le transfert intragroupe des pertes des filiales établies dans le même Etat. La dissymétrie dans le traitement fiscal est alors sanctionnée.

Par un arrêt en date du 15 mai 2008 (aff. 414/06, 4e ch., Lidl Belgium GmbH), la Cour de justice a transposé cette jurisprudence aux pertes d’une succursale établie dans un autre Etat que celui du siège, tout en jugeant que la non-prise en compte des pertes de l’établissement étranger était justifiée par la répartition du pouvoir d’imposer en ce qu’elle « sauvegarde la symétrie entre le droit d’imposition des bénéfices et la faculté de déduction des pertes » (considérant 33).

Elle a néanmoins considéré que la société peut déduire les pertes encourues par un établissement stable situé dans un autre Etat membre à condition qu’elle ait épuisé toutes les possibilités de déduire ces pertes dans l’État de situation de l’établissement  (CJUE 12 juin 2018 aff. 650/16, Gr. ch., A/S Bevola).

Se référant à cette jurisprudence, la cour administrative d’appel de Versailles, dans un arrêt du 6 juin 2022, a fait droit à la demande d’une société française, SPIE Batignolles, d’imputer sur son résultat fiscal les pertes définitives de sa succursale luxembourgeoise.

Toutefois, la Cour de justice a tôt fait de refermer la brèche entrouverte par la jurisprudence Bevola, et par un arrêt du W AG du 22 septembre 2022 (aff. 538/20), elle précisa que l’Etat qui renonce, en vertu d’une convention fiscale, à exercer son pouvoir d’imposition sur les résultat d’un établissement stable étranger, ne peut être tenu de prendre en compte les pertes définitives d’un tel établissement (il faut noter qu’en l’espèce, le droit allemand de l’Etat du siège comporte un principe de mondialité de l’impôt sur les sociétés). Il faut donc semble-t-il distinguer selon que l’Etat du siège renonce à son droit d’imposer sur le seul fondement de son droit national ou par l’effet d’une convention fiscale.

Dans sa décision du 26 avril 2024, le Conseil d’Etat a par conséquent cassé l’arrêt de la CAA de Versailles et considéré que tant les stipulations de la convention franco-luxembourgeoise du 1er avril 1958, alors en vigueur, que le principe de territorialité de l’impôt sur les sociétés prévu au I de l’article 209 du CGI, faisaient obstacle à l’imputation en France par la société SPIE Batignolles des pertes définitives de sa succursale luxembourgeoise.

L’entrée en vigueur de la nouvelle convention fiscale franco-luxembourgeoise risque toutefois de rouvrir le débat : contrairement à celle de 1958, la convention signée en 2018 et qui a pris effet à compter du 1er janvier 2020 prévoit que les revenus d’un établissement stable luxembourgeois d’une société française sont imposables en France, avec imputation d’un crédit d’impôt égal à l’impôt étranger… Il n’est donc pas certain que l’application du seul principe de territorialité du droit interne conduise, dans le futur, à refuser la déduction en France des pertes définitives d’une succursale luxembourgeoise.

Conseil d’Etat, 26 avril 2024, n° 466062

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