Par un arrêt du 28 décembre 2023, la Cour administrative d’appel (CAA) de Paris précise l’étendue des pouvoirs du juge pour qualifier la destination et la sous-destination d’un local à l’occasion d’une demande de substitution de motifs effectuée par l’administration.
En l’espèce, une société avait déposé, le 10 mars 2021, une déclaration préalable (DP) tendant à la modification de la devanture d’un local, à laquelle s’était opposée la ville de Paris au motif que les travaux projetés, comportant aussi un changement de destination du local, d’ « artisanat » en « commerce », nécessitaient un permis de construire (PC). Il s’agissait en l’occurrence de transformer un salon de coiffure en agence immobilière.
La ville se référait aux destinations définies à l’article R. 123-9 du code de l’urbanisme, toujours applicables aux PLU « non alurisés », tel que celui – encore en vigueur jusqu’à sa prochaine révision – de Paris.
Le TA de Paris, saisi par le pétitionnaire, avait annulé la décision de non-opposition à DP et enjoint la ville de Paris à réexaminer la DP, aux termes d’un jugement du 20 février 2023, en considérant que « l’artisanat et le commerce font [désormais] partie de la même destination intitulée « commerce et activités de service » et que la maire ne pouvait valablement s’opposer aux travaux litigieux au motif qu’ils s’accompagnaient d’un « changement de destination » et relevaient ainsi du régime du PC.
En effet, depuis la décision du Conseil d’Etat du 7 juillet 2022, il est acquis que le champ d’application des autorisations d’urbanisme s’apprécie uniformément sur l’ensemble du territoire national, au regard des nouvelles destinations et sous-destinations des articles R. 151-27 et R. 151-28 du code de l’urbanisme, l’ancienne nomenclature ne se rapportant plus qu’aux règles de fond instaurées dans les PLU « non alurisés » (CE 7 juillet 2022, n° 454789, portant sur la transformation d’une boucherie (artisanat) en supérette (commerce)).
La ville a relevé appel de ce jugement en sollicitant :
- une substitution de base légale, les articles R. 151-27 et R. 151-28 se substituant à l’article R. 123-9 du code de l’urbanisme ;
- une substitution du motif de l’opposition à DP par celui « tiré du changement entre deux sous-destinations de l’article R. 151-28 du même code, que seraient la sous-destination « commerce » et la sous-destination « artisanat », de sorte que les travaux prévus relevaient du régime du permis de construire».
La Cour, dans son arrêt du 28 décembre 2023, rappelle les conditions dans lesquelles une substitution de base légale et une substitution de motifs peuvent être opérées directement par le juge ou sur demande de l’administration :
- le juge de l’excès de pouvoir peut substituer le fondement textuel qui a servi de base légale à la décision attaquée, lorsqu’il constate que cette décision aurait pu être prise, en vertu du même pouvoir d’appréciation, sur le fondement d’un autre texte que celui dont la méconnaissance est invoquée, sous réserve que l’intéressé ait disposé des garanties dont est assortie l’application de ce nouveau texte ;
- l’administration peut également faire valoir devant le juge de l’excès de pouvoir que la décision dont l’annulation est demandée est légalement justifiée par un motif, de droit ou de fait, autre que celui initialement retenu, mais également fondé sur la situation existant à la date de cette décision. Il appartient alors au juge de rechercher si un tel motif est de nature à fonder légalement la décision, puis d’apprécier s’il résulte de l’instruction que l’administration aurait pris la même décision si elle s’était fondée initialement sur ce motif, puis, dans l’affirmative, de procéder à la substitution demandée, sous réserve toutefois qu’elle ne prive pas le requérant d’une garantie procédurale liée au motif substitué.
En l’espèce, la Cour opère la substitution de base légale et confirme donc que des travaux ayant pour effet de modifier les structures porteuses ou la façade d’un bâtiment sont soumis à PC en cas de changement tant de la destination de ce bâtiment au sens de l’article R. 151-27 que de la sous-destination de ce même bâtiment au sens de l’article R. 151-28.
En revanche, au terme d’une analyse particulièrement stricte des écritures de la commune, elle refuse de faire droit à sa demande de substitution de motif.
En effet, la ville de Paris ne qualifie pas, à l’appui de sa demande de substitution de motif, la sous-destination à laquelle appartiendrait une agence immobilière. Elle se borne à mentionner deux sous-destinations « commerce » et « artisanat », et à soutenir que « la nouvelle activité prévue d’agence immobilière, qui relève d’une activité commerciale, remplacera un coiffeur qui relève de l’artisanat ».
Or, selon la nouvelle nomenclature de l’article R. 151-28 du code de l’urbanisme, ces sous-destinations « commerce » et « artisanat » n’existent pas[1]. La destination « commerce et activités de service » comprend en effet les seules sous-destinations suivantes : artisanat et commerce de détail, restauration, commerce de gros, activités de services où s’effectue l’accueil d’une clientèle, cinéma, hôtels, autres hébergements touristiques.
La Cour semble requalifier la sous-destination « commerce », invoquée par la commune, en « commerce de gros », seule sous-destination comprenant le terme « commerce » distincte de l’artisanat. Elle observe alors que, à l’évidence, « l’activité d’agence immobilière ne relève pas de la sous-destination « commerce de gros » », et rappelle que « artisanat et commerce de détail relèvent de la même sous-destination » pour en tirer la conclusion que « sans qu’il soit besoin de se prononcer sur les sous-destinations dont relèvent les activités de coiffeur et d’agence immobilière, (…) le motif invoqué par la Ville de Paris n’est pas de nature à fonder légalement la décision contestée ».
Ce cas d’espèce constituait pourtant l’opportunité pour la ville de Paris d’invoquer la fiche technique du ministère du logement et de l’habitat durable en avril 2017, complétant les définitions apportées à chaque sous-destination par l’arrêté du 10 novembre 2016, et à laquelle se réfèrent les services instructeurs pour l’application des PLU « alurisés ». Ce document officiel indique en effet que les agences immobilières relèvent de la sous-destination « activités de service où s’effectue l’accueil d’une clientèle », au même titre que les assurances, les banques, les agences de location de voiture ou encore les showrooms, qualification qui aurait pu permettre de justifier la nécessité d’un PC pour l’opération envisagée.
En évitant de qualifier expressément une agence immobilière de commerce de détail, la CAA de Paris n’ignore probablement pas l’existence des définitions de cette fiche, mais ne peut – dans le cadre d’une demande de substitution de motifs – retenir d’office des éléments que l’autorité compétente n’invoque pas d’elle-même.
La Cour rejette donc la demande de la Ville de Paris, pas tant sur le fond semble-t-il, mais plutôt sur la forme, en sanctionnant la motivation imprécise d’une décision d’opposition à une demande d’autorisation d’urbanisme.
CAA Paris 28 décembre 2023, n° 23PA01639
[1] Si un projet de décret diffusé en septembre 2022 pour consultation scindait la sous-destination « artisanat et commerce de détail » en deux sous-destinations distinctes, cette option n’a finalement pas été reprise dans la mouture finale du texte (décret n° 2023-195 du 22 mars 2023). En tout état de cause, cette rédaction de l’article R. 151-28 du code de l’urbanisme n’aurait pas été applicable au litige.