L’article L.145-46-1 du Code de commerce, introduit par la loi dite « Pinel », prévoit un droit de préemption au profit du preneur à bail commercial de locaux « à usage commercial ou artisanal » lorsque leur propriétaire envisage de les vendre. Retour sur les dernières actualités législatives et jurisprudentielles concernant ce texte.
- Champ d’application
Cas des « bureaux commerciaux »
Dans une affaire concernant la vente de locaux abritant une « activité d’administration de biens pour le compte d’autrui », la Cour d’appel de Rennes a retenu que cette activité est « commerciale par nature en application des dispositions des articles L.110-1 du Code de commerce ». Elle a ainsi jugé que « s’il est admis que les bureaux à usage professionnel doivent être exclus du droit de préemption, en revanche, les bureaux abritant une activité commerciale sont considérés comme des locaux à usage commercial tels que visés par l’article L.145-46-1 du Code de commerce » et relèvent donc du champ d’application du droit de préemption « Pinel » (CA Rennes, ch. 1, 11 janvier 2022, n° 20/01661).
La Cour d’appel de Paris a retenu la même position pour la vente de locaux abritant une « activité d’administrateur de biens, de syndic de copropriété, de location et de transaction » et ce, bien que le bail précise que les locaux sont « à usage exclusif de bureaux commerciaux » (CA Paris, 1er décembre 2021, n°20/00194).
Liquidation judiciaire
Par un arrêt du 23 mars 2022, la Cour de cassation a jugé que « la vente de gré à gré d’un actif immobilier dépendant d’une liquidation judiciaire est une vente faite d’autorité de justice« . Elle en a déduit que les dispositions de l’article L.145-46-1 du Code de commerce « qui concernent le cas où le propriétaire d’un local commercial ou artisanal envisage de le vendre, ne sont pas applicables et qu’une telle vente ne peut donner lieu à l’exercice d’un droit de préemption par le locataire commercial » (Cass., com., 23 mars 2022, n° 20-19.174).
La Haute Juridiction a récemment confirmé cette position dans une affaire où le liquidateur judiciaire d’une société propriétaire de plusieurs actifs immobiliers a été autorisé à vendre l’un de ces immeubles : dans de telles circonstances, le bailleur n’envisage pas et ne décide pas de vendre les locaux loués mais y est contraint par la mise en œuvre de la procédure collective dont il fait l’objet, ce qui exclue l’application du droit de préemption Pinel (Cass., 3e Civ., 15 février 2023, n° 21-16.475).
En outre, par un arrêt rendu le 15 décembre 2022, la Cour de cassation, statuant à la suite de la transmission d’une question prioritaire de constitutionnalité (QPC), a considéré que l’exclusion du droit de préemption en cas de vente des locaux loués par adjudication ne saurait porter atteinte au principe d’égalité et à la liberté d’entreprendre du locataire (Cass., 3e Civ., 15 décembre 2022, n° 22-17.505).
Articulation avec le droit de préemption urbain
La loi dite « 3DS » a précisé que le droit de préemption « Pinel » n’est pas applicable « lorsqu’il est fait application du droit de préemption institué aux chapitres Ier et II du titre Ier du livre II du Code de l’urbanisme ou à l’occasion de l’aliénation d’un bien sur le fondement de l’article L. 213-11 du même code », i.e. lorsque la collectivité compétente exerce son droit de préemption urbain.
Cas d’une cession unique de locaux commerciaux distincts
Par un arrêt du 29 juin 2022 la Cour de cassation a précisé que le droit de préemption « Pinel » ne s’applique pas en cas de vente portant « sur des locaux commerciaux donnés à bail à des preneurs distincts » et ce, « peu important que ces locaux fussent situés dans le même immeuble et que la vente ait également porté sur un lot à usage d’habitation et sur des caves ». La Haute Juridiction a rappelé à cette occasion que les dispositions du dernier alinéa de l’article L.145-46-1 du Code de commerce prévoient expressément qu’il n’est pas applicable « dans le cas d’une cession unique de locaux commerciaux distincts » (Cass., 3e civ., 29 juin 2022, n° 21-16.452).
- Conditions d’exercice
Date de notification de l’offre de vente
Par un arrêt du 23 septembre 2021, la Cour de cassation a jugé, dans un cas où l’offre de vente a « été adressée préalablement à la vente » au preneur bénéficiant du droit de préemption « Pinel », que le propriétaire « avait pu confier un mandat de vente » puis « faire procéder à des visites du bien » avant la notification de cette offre. Elle a en outre jugé que le fait que le propriétaire ait conclu, postérieurement à la notification de l’offre de vente, « une promesse unilatérale de vente, sous la condition suspensive tenant au droit de préférence du preneur, n’invalidait pas l’offre de vente ». (Cass., 3e civ., 23 septembre 2021, n° 20-17.799)
Application dans le temps
Par un arrêt du 25 octobre 2022 concernant un compromis de vente conclu le 7 novembre 2014 sous condition suspensive de mise en œuvre de « tout droit de préemption […] susceptible de frapper les biens », la Cour d’appel de Lyon a retenu que « lorsque le compromis de vente a été signé, l’article L.145-46-1 du Code de commerce n’était pas applicable » car entré en vigueur le 18 décembre 2014. Elle en a déduit que si, à cette date, « la vente n’avait pas encore été réitérée, la condition suspensive avait nécessairement été levée, en l’absence d’un quelconque titulaire d’un droit de préemption et/ou d’un pacte de préférence » et que « la vente était parfaite » (CA Lyon, 1ère ch. civ. B, 25 octobre 2022, n° 20/00285). La solution aurait vraisemblablement été différente si la signature du compromis était intervenue après l’entrée en vigueur de cet article.