Par un arrêt rendu le 26 octobre 2022, la Cour de cassation retient que « la contestation constante et quasi-immédiate de la qualité des travaux, suivie d’une demande d’expertise judiciaire portant sur les manquements de l’entrepreneur, était de nature à rendre équivoque la volonté du maître de l’ouvrage de recevoir celui-ci » et en déduit, en l’absence de réception tacite, que la garantie décennale ne peut pas être mobilisée par le maître d’ouvrage.
En l’espèce, un maître d’ouvrage a confié en mars 2006 à la société Bati Concepta la réalisation de travaux de réaménagement d’un local. Le délai d’exécution des travaux était fixé à deux mois. La société Bati Concepta a abandonné le chantier à la mi-avril 2006. Le 16 mai 2006, des malfaçons ont été constatées par huissier de justice à la demande du maître d’ouvrage.
Après mise en demeure restée infructueuse de l’entreprise suivie d’une expertise judiciaire, le maître d’ouvrage a assigné la société Bati Concepta et son assureur, la société Allianz, en réparation des désordres affectant les travaux et en indemnisation du préjudice subi.
Allianz a contesté la mise en œuvre de sa garantie au motif que les travaux réalisés par la société Bati Concepta n’ont fait l’objet « d’aucune réception expresse ou tacite ». En particulier, l’assureur a soutenu que « les conditions de la réception tacite ne sont pas réunies puisque le chantier a été abandonné, les travaux sont inachevés et le maître de l’ouvrage a adressé une mise en demeure à l’entreprise dénonçant des malfaçons ».
De son côté, le maître d’ouvrage a soutenu que l’achèvement des travaux « n’a jamais été une condition de la réception expresse ou tacite », « la réception tacite peut être constatée quand bien même les travaux sont inachevés dès l’instant où la prise de possession s’accompagne du paiement du montant des travaux réalisés » et « le rapport d’expertise confirme que les travaux exécutés ont été payés et cette circonstance doublée de la prise de possession de l’ouvrage valent réception tacite ».
La Cour de cassation a écarté le moyen ainsi invoqué par le maître d’ouvrage, considérant que « la contestation constante et quasi-immédiate de la qualité des travaux, suivie d’une demande d’expertise judiciaire portant sur les manquements de l’entrepreneur, était de nature à rendre équivoque la volonté du maître de l’ouvrage de recevoir celui-ci ».
Pour mémoire, selon une jurisprudence établie, la Haute Juridiction considère que la prise de possession de l’ouvrage et le paiement des travaux font présumer la volonté non équivoque du maître de l’ouvrage de le recevoir avec ou sans réserves, nonobstant l’inachèvement de la totalité de l’ouvrage (Civ. 3e, 13 juill. 2016, n° 15-17.208; 30 janv. 2019, n° 18-10.197; 18 avr. 2019, n° 18-13.734).
La Cour de cassation rappelle ainsi qu’il s’agit toutefois d’une présomption simple qui peut être renversée en présence de circonstances démontrant, malgré le paiement du prix et la prise de possession de l’ouvrage, que le maître de l’ouvrage n’a pas accepté tacitement la réception de l’ouvrage. On relèvera que cet arrêt confirme une position déjà établie antérieurement (Civ. 3e, 24 mars 2016, n° 15-14.830, Civ. 3e, 1er avr. 2021, n° 20-14.975).