La loi Le Meur modifie substantiellement le régime de changement d’usage des locaux d’habitation. Cette réforme apparaît toutefois comme une occasion manquée d’en clarifier le régime, dont les enjeux dépassent largement celui des meublés de tourisme car elle affecte également l’immobilier tertiaire ainsi que les résidences-services et autres formes de coliving. Au contraire, elle renforce la complexité du dispositif et augmente les sources d’insécurité juridique.
La loi n° 2024-1039 du 19 novembre 2024, dite loi Le Meur, a pour objectif de renforcer le contrôle des locations de courte durée de logements meublés à des fins touristiques, qui se sont multipliées ces dernières années avec le développement de l’offre sur les plateformes numériques. Cette pratique, qui peut être source de revenus complémentaires pour les propriétaires ou les locataires, pose également des problèmes de préservation du parc de logements à usage d’habitation.
Pour encadrer davantage l’activité de location de meublés de tourisme, la loi Le Meur entend agir essentiellement sur le levier de la législation du changement d’usage des locaux d’habitation tel que prévu à l’article L. 631-7 du code de la construction et de l’habitation (CCH), étant rappelé que toute infraction à cette législation peut donner lieu à des sanctions d’une particulière sévérité : jusqu’à 100 000 € d’amende civile par local irrégulièrement transformé (50 000 € avant la loi Le Meur) et la possibilité pour les acquéreurs et locataires d’invoquer la nullité de leurs actes de vente et baux.
L’évolution du champ d’application de la législation sur le changement d’usage : une modification en trompe-l’œil
La loi Le Meur met fin à l’application de plein droit de la législation sur le changement d’usage dans les communes de plus de 200 000 habitants et dans celles des départements des Hauts-de-Seine, de la Seine-Saint-Denis et du Val-de-Marne. Désormais, ces communes devront, comme toutes celles en « zone tendue », soumises à la taxe pour logement vacant, délibérer pour décider de soumettre à autorisation les changements d’usage des locaux d’habitation. L’objectif affiché est d’élargir le champ d’application territorial de cette disposition, en permettant aux communes qui le souhaitent, quelle que soit leur taille, de réguler le meublé de tourisme sur leur territoire.
Toutefois, on peut se demander quel est l’intérêt d’avoir modifié le régime antérieur, qui permettait déjà, aux termes de l’article L. 631-9 du CCH, à ces communes de se doter d’un dispositif de contrôle du changement d’usage.
On peut également déplorer l’absence d’un registre indiquant quelles sont les communes qui ont décidé de s’y soumettre. Cette situation sera particulièrement problématique dans l’audit des dossiers car il faudra systématiquement vérifier si la commune est soumise ou non au régime sans pouvoir bénéficier d’une source fiable.
L’introduction d’un critère d’appréciation de l’usage à n’importe quel moment au cours des trente dernières années : une interprétation ambiguë
La loi Le Meur introduit également un nouveau critère d’appréciation de l’usage des locaux d’habitation, qui peut avoir une incidence sur l’obligation de demander une autorisation de changement d’usage ou, le cas échéant, la qualification d’une infraction. Il s’agit de la notion de « local habité ou ayant vocation à l’être à n’importe quel moment au cours des trente dernières années précédant la demande d’autorisation« .
Ce critère vise à prendre en compte la situation réelle des locaux, qui peuvent avoir connu des changements d’usage successifs, sans que ceux-ci aient été régularisés ou autorisés. Il permet ainsi de protéger les locaux qui ont été affectés à l’habitation à n’importe quel moment au cours des trente dernières années et de les soumettre à la procédure de changement d’usage en cas notamment de location meublée touristique.
Toutefois, ce critère n’est pas clairement articulé avec celui de la qualification de l’usage des locaux entre le 1er janvier 1970 et le 31 décembre 1976, autre période de référence prise en compte par la loi. Par exemple, si un local a été affecté à un usage autre que d’habitation entre le 1er janvier 1970 et le 31 décembre 1976 mais qu’il a été affecté à l’habitation pendant les trente dernières années, doit-on considérer qu’il est à usage d’habitation ? A la lecture littérale du texte, il serait tentant de répondre à cette question par l’affirmative. Cependant, il pourrait être soutenu que le critère des « trente dernières années » a été ajouté en considération de la volonté d’élargir le champ d’application territorial du dispositif, c’est-à-dire à des communes dont les fiches de révision foncière n’ont pas été conservées et qui ne sont pas en mesure d’établir une preuve de l’usage dans les années 1970, et que par conséquent il présente un caractère subsidiaire.
La remise en cause de la force probante de l’autorisation d’urbanisme : une regrettable régression
Plus gravement, la loi Le Meur remet en cause la force probante de l’autorisation d’urbanisme de changement de destination. Il s’agit de la procédure prévue par le code de l’urbanisme, qui soumet à formalité (déclaration préalable ou permis de construire selon la nature des travaux qui l’accompagnent) le changement de destination d’un local.
Ce mode de preuve avait été introduit par une loi du 13 juillet 2006 pour sécuriser les droits des propriétaires de bonne foi, qui avaient obtenu un permis de construire les autorisant à supprimer la destination « habitation » de tout ou partie des locaux de leurs immeubles. Ce faisant, le législateur avait admis que ces locaux pouvaient être considérés comme étant à usage autre que d’habitation même s’ils n’avaient jamais fait l’objet d’une autorisation de changement d’usage, en s’affranchissant ici du principe d’indépendance des législations. En ce cas en effet, le changement d’affectation des locaux avait été porté à la connaissance de l’administration, qui l’avait autorisé.
Or, la loi Le Meur introduit à cet article un alinéa selon lequel « une autorisation d’urbanisme de changement de destination ne constitue un mode de preuve valable que si elle est accompagnée d’une autorisation de changement d’usage ». Cette disposition remet complètement en cause l’effet « régularisateur » que le législateur avait voulu conférer au permis de construire, alors même que la doctrine appelle de ses vœux depuis longtemps un rapprochement entre la police de l’usage et celle de la destination pour sécuriser les droits des propriétaires et utilisateurs de bonne foi.
Ainsi, un propriétaire qui aurait transformé un local d’habitation en local commercial avec un permis de construire ou une déclaration préalable, mais qui n’aurait pas sollicité une autorisation de changement d’usage, ne pourrait pas louer ce local en meublé de tourisme mais aussi en bail commercial sans risquer une sanction. Où l’on voit que la tentative de régulation des locations de courte durée a ici un impact considérable sur toute l’économie immobilière – ce qui semble avoir échappé au législateur.
La confusion entre les notions de destination et d’usage : une incohérence conceptuelle
La loi Le Meur introduit également une confusion entre les notions de destination et d’usage. Il est en effet communément admis que la notion de destination (relevant du code de l’urbanisme) renvoie à la vocation fonctionnelle d’un local tandis que celle d’usage (relevant du CCH) à son utilisation effective.
Or, la loi Le Meur a ajouté à l’article L. 631-7 du CCH la disposition selon laquelle « l’usage d’habitation s’entend de tout local habité ou ayant vocation à l’être même s’il n’est pas occupé effectivement » : ce qui signifie que désormais un local non affecté à l’habitation de manière effective, mais ayant vocation à l’être, sera considéré comme étant à usage d’habitation.
Cette disposition brouille la frontière entre les deux notions, car elle assimile l’usage à la destination. En effet, un local peut avoir vocation à être habité sans l’être effectivement, et l’insertion d’une telle disposition pourra par exemple remettre en cause un usage professionnel parfaitement régulier au simple motif que le local présente les caractéristiques d’une habitation.
La loi Le Meur introduit également la possibilité pour les plans locaux d’urbanisme (PLU) de délimiter des secteurs dans lesquels toutes les constructions nouvelles de logements sont à usage exclusif de résidence principale, ce qui revient à consacrer la notion d’usage en droit de l’urbanisme car le fait d’occuper un logement à titre de résidence principale relève de son utilisation effective, et non de sa vocation fonctionnelle. Cette mesure pose également un problème de cohérence avec le régime du changement d’usage, car la qualification de l’usage d’habitation ne s’applique pas limitativement aux résidences principales.
Plus généralement, elle porte au droit de propriété – auquel se rattache la liberté de l’usage du bien – une atteinte dont il serait souhaitable que le Conseil constitutionnel apprécie la validité, à défaut d’avoir été directement saisi avant la promulgation du texte.
La possibilité de délivrer des autorisations temporaires de changement d’usage à des personnes morales : une avancée positive mais insuffisante
La loi Le Meur permet la délivrance à des personnes morales d’autorisations temporaires de changement d’usage au titre de l’article L. 631-7-1-A, jusqu’alors réservées aux seules personnes physiques, ce qui va dans le bon sens.
Il s’agit d’obtenir une autorisation de changement d’usage pour pouvoir se livrer à une activité de location de courte durée sans exigence de compensation (qui consiste en la transformation en logement d’un local ayant un autre usage), pour une durée limitée et renouvelable.
L’autorisation temporaire présente également l’avantage d’être neutre au regard du régime des destinations au sens du droit de l’urbanisme.
On comprend que l’extension du bénéfice des autorisations temporaires aux personnes morales vise implicitement les exploitants de résidences-services, puisque la nouvelle rédaction indique que les quotas d’autorisations temporaires que les communes peuvent mettre en place ne les concernent pas.
Cette mesure est un signal positif, car elle reconnaît la légitimité des exploitants de résidence-services à se livrer ponctuellement à la location de meublés de tourisme, en complément de leur activité principale de location de longue durée. On peut toutefois regretter que l’hébergement résidentiel géré par un prestataire proposant des services figure subrepticement dans des dispositions relatives aux quotas, alors que les opérateurs attendaient de véritables avancées sur ce sujet, et que le texte se soit limité à la seule résidence-services de l’article L. 631-13 du CCH.
Les exploitants de résidences avec services au sens large, qu’il s’agisse de résidences universitaires au sens de l’article L. 631-12 du CCH, de résidences-services au sens de l’article L. 631-13 du CCH, ou encore de résidences étudiants ou autres formes de coliving répondant à des régimes sui generis ont tous la même préoccupation : louer à titre occasionnel et accessoire, sans remettre en cause la vocation d’hébergement à titre de résidence principale des logements offerts à la location, des chambres pour des séjours de courte durée, de manière à combler la vacance de logements qui ne trouvent pas preneurs pour des séjours de moyenne ou de longue durée.
Une telle possibilité est d’ailleurs déjà prévue depuis 2022 pour les résidences universitaires puisque l’article L. 631-12-1 du CCH prévoit la possibilité de proposer à la location, pour des séjours de courte ou moyenne durée, les locaux inoccupés après le 31 décembre de chaque année et au plus tard le 1er octobre de l’année suivante. On peut déduire de cette disposition qu’elle dispense d’avoir à obtenir une autorisation de changement d’usage, mais il aurait été opportun que la loi Le Meur clarifie ce point.
On voit bien que les exploitants de toutes les résidences gérées avec services, quel que soit leur statut juridique, se heurtent à des difficultés tenant notamment à la qualification de leur activité, qui peut être assimilée à de la location meublée touristique soumise au régime du changement d’usage, ou à de l’hébergement hôtelier soumis au régime de la déclaration en mairie. Il n’existe pas de régime spécifique adapté à ces formes d’habitat intermédiaire qui, sans prétendre à devenir des résidences de tourisme, ont besoin de souplesse dans la durée des locations proposées, de manière à assurer un remplissage optimal. Il aurait été souhaitable que la loi Le Meur se saisisse de cette question, qui concerne un secteur en plein essor, et qu’elle propose un cadre juridique clair et sécurisé pour ces opérateurs.
A trop vouloir protéger la fonction résidentielle d’un local, en créant des catégories rigides de biens malgré l’évolution des modes de vie, la loi entrave le développement de nouvelles formes d’habitat. Le chantier de la politique du logement reste donc ouvert, et doit désormais porter sur l’encouragement de l’offre tout autant que sur la protection de l’occupant.