Par deux décisions du 30 mai 2024, le Conseil d’Etat a jugé que l’existence d’un « risque suffisamment caractérisé » résultant d’un projet pour les espèces protégées doit d’une part être analysé dès son origine, et d’autre part prendre en compte les travaux de classification de l’UICN.
Saisi de deux affaires distinctes en matière de protection des espèces protégées, le Conseil d’Etat a rendu deux décisions le 30 mai dernier qui apportent de nouvelles précisions sur les cas dans lesquels un projet doit faire l’objet d’une demande de dérogation « espèces protégées ».
Pour rappel (cf article Gide Real Estate du 13 décembre 2022), dans un avis contentieux du 9 décembre 2022, le Conseil d’Etat a dégagé les deux critères cumulatifs suivants comme déclencheurs de l’obligation de dépôt d’une demande de dérogation pour un porteur de projet :
- Des spécimens d’espèces protégées sont présents sur la zone du projet, sans « que l’applicabilité du régime de protection dépende, à ce stade, ni du nombre de ces spécimens, ni de l’état de conservation des espèces protégées présentes » ; et
- Le projet présente un risque pour les espèces protégées qui est « suffisamment caractérisé», et ce en prenant en compte les mesures d’évitement et de réduction des atteintes aux espèces protégées proposées par le pétitionnaire.
Concernant ce second critère, le Conseil d’Etat a notamment eu l’occasion de préciser que le risque à prendre en compte est bien le risque « suffisamment caractérisé » et non le « risque négligeable » (cf article Gide Real Estate du 15 décembre 2023).
Avec ces deux décisions du 30 mai 2024, le Conseil d’Etat affine de nouveau sa jurisprudence sur ce critère du « risque suffisamment caractérisé ».
D’une part, l’existence du risque doit être évaluée « dès l’origine » du projet : le Conseil d’Etat censure donc un arrêt de la cour administrative d’appel de Bordeaux qui avait rejeté une requête tendant à l’annulation d’un arrêté préfectoral autorisant l’exploitation d’un parc éolien en estimant que les effets du projet sur la biodiversité « seraient évalués au début de la mise en fonctionnement » et que des « mesures correctives pourraient être ultérieurement proposées en cas de constat d’un impact significatif » (CE, 30 mai 2024, n°474077).
D’autre part, ce risque doit être évalué au regard du classement des espèces protégées établie par l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN), du moins lorsque ce classement est produit devant la juridiction : le Conseil d’Etat annule donc un arrêt de la cour administrative d’appel de Douai qui avait accueilli une requête tendant à l’annulation du refus d’autorisation d’un parc éolien et avait enjoint le préfet d’accorder cette autorisation sans que le pétitionnaire ne soit tenu de présenter une demande de dérogation « espèces protégées », et ce alors même que le busard cendré, classé sur liste rouge de l’UICN était en « danger critique d’extinction » sur le territoire du projet (CE, 30 mai 2024, n°465464).
Ces deux décisions appellent donc les porteurs de projet à faire preuve de vigilance en matière d’espèces protégées dès l’étude d’impact de leur projet et à prendre en considération non seulement les classements de protection de l’Etat mais également ceux produits par l’UICN.