Par une décision du 23 mars 2023, le Conseil d’Etat se prononce sur la destination des dark stores au sens du code de l’urbanisme et du PLU de Paris. Il apporte également d’importantes précisions en matière de sanctions des infractions au droit de l’urbanisme.
Pour mémoire, le juge des référés du TA de Paris a, dans une ordonnance du 5 octobre 2022, suspendu les décisions par lesquelles la maire de Paris avait mis en demeure les sociétés Gorillas Technologies France et Frichti de restituer dans leur état d’origine plusieurs locaux qu’elles occupent.
Le juge des référés avait en effet retenu comme moyens propres à créer un doute sérieux quant à la légalité de ces décisions :
(i) le moyen tiré d’une méconnaissance du champ d’application de l’article L. 481-1 du code de l’urbanisme dès lors que les locaux occupés n’avaient pas fait l’objet de travaux ;
(ii) le moyen tiré de ce que les dark stores « correspondraient à la définition d’espace de logistique urbaine au sens du règlement du PLU de la ville de Paris » (i.e. à la destination CINASPIC, non concernée par l’interdiction de l’article UG.2.2.2 du PLU de Paris).
En premier lieu, le Conseil d’Etat – saisi d’un pourvoi en cassation par la ville de Paris – considère que, si les dispositions de l’article L. 481-1 du code de l’urbanisme font référence aux « travaux », elles sont cependant applicables à l’ensemble des opérations soumises à formalité d’urbanisme ou dispensées, à titre dérogatoire, d’une telle formalité, et qui auraient été entreprises ou exécutées irrégulièrement.
Il en est notamment ainsi des changements de destination qui, en vertu de l’article R. 421-17 du code de l’urbanisme, sont soumis à déclaration préalable (DP), alors même qu’ils n’impliquent pas de travaux. En d’autres termes, tout changement de destination soumis à DP, qui n’aurait pas été autorisé, peut faire l’objet d’une mise en demeure sur le fondement de l’article L. 481-1 du code de l’urbanisme.
En second lieu, le Conseil d’Etat rappelle que la ville de Paris doit se référer aux destinations de l’article R. 151-27 du code de l’urbanisme pour apprécier l’existence d’un changement de destination, et exiger le cas échéant le dépôt d’une DP. Ce n’est qu’ensuite, dans l’hypothèse où un changement de destination est constaté, qu’elle doit appliquer les règles sur les destinations fixées par le PLU, pour examiner si la destination des locaux envisagée est possible (v. en ce sens, CE 7 juillet 2022, n° 454789, commentée ici).
Appliquant cette grille de lecture, le Conseil d’Etat considère que les locaux concernés sont « désormais destinés à la réception et au stockage ponctuel de marchandises, afin de permettre une livraison rapide de clients par des livreurs à bicyclette », et doivent être considérés comme des entrepôts au sens de l’article R. 151-27 du code de l’urbanisme, même si des points de retrait peuvent y être installés (dans la lignée de la réponse ministérielle du 15 février 2023 que nous avons commentée ici).
Dès lors que ces locaux ne correspondent plus à des commerces, leur occupation constitue un changement de destination soumis à DP.
La Haute-Juridiction estime ensuite que l’occupation des locaux ne correspond pas à une fonction de logistique urbaine – pouvant les faire entrer dans la catégorie des CINASPIC – mais « a pour objet de permettre l’entreposage et le reconditionnement de produits non destinés à la vente aux particuliers dans ces locaux », ce qui correspond à une activité relevant de la destination « Entrepôt » au sens des dispositions du PLU de Paris.
Or, selon les dispositions de l’article UG. 2.2.2 du règlement du PLU, la transformation en entrepôt de locaux existants en rez-de-chaussée sur rue est interdite, rendant insusceptible de régularisation la situation des sociétés concernées. La ville de Paris était donc en droit de s’opposer à cette transformation.
Par conséquent, le Conseil d’Etat annule la suspension qui avait été prononcée par le juge des référés du TA de Paris.
Conseil d’Etat 23 mars 2023, n° 468360