Le 3 mai 2023, le Conseil d’Etat s’est prononcé sur diverses questions induites par la mise en place d’un schéma de cession-bail (sale and lease back) permettant du tirer profit fiscalement du caractère hybride de cette opération.
Des sociétés industrielles allemandes avaient temporairement cédé à une société française de crédit-bail l’usufruit d’immeubles nus situés en Allemagne, tout en conservant la jouissance de ces immeubles par le biais d’un contrat de crédit-bail. En contrepartie de cette jouissance, les sociétés allemandes versaient des « loyers » au crédit-bailleur.
Estimant que cette opération avait principalement un caractère immobilier, le crédit-bailleur français n’avait pas déclaré en France les « loyers » perçus, l’article 3 de la convention fiscale franco-allemande attribuant le droit d’imposer à l’Etat de situation des immeubles. L’administration fiscale allemande n’avait pas non plus imposé ces sommes, considérées comme des revenus financiers imposables dans l’Etat de résidence conformément à l’article 10 de la convention.
Cette décision apporte les éclairages suivants :
- Sur la procédure de rectification : le Conseil d’Etat considère que le schéma en cause, ayant permis un financement effectif des entreprises allemandes et une modération du risque pour la société de crédit-bail, n’était pas constitutif d’un montage artificiel. La procédure d’abus de droit avait donc été appliquée à tort, car il suffisait à l’administration de procéder à une requalification des contrats litigieux pour leur restituer leur portée réelle, ce qu’elle s’empressa de faire par une demande de substitution de base légale.
- Sur la nature du contrat de cession-bail : la qualification de ces contrats, par nature hybrides, requiert une analyse in concreto. En l’espèce, le Conseil d’Etat s’appuie sur les clauses du contrat relatives à l’exercice ou la cession de l’usufruit, à la durée du crédit-bail ou à la jouissance des immeubles pour considérer que ces contrats avaient en l’espèce une « coloration plus financière qu’immobilière » (pour reprendre les termes du rapporteur public, Marie-Gabrielle Merloz). Les revenus étaient donc imposables en France conformément à l’article 10 (intérêts) de la convention franco-allemande.
- Sur les contours de l’acte anormal de gestion : l’administration reprochait également une insuffisance du montant des taux d’intérêt fixés par les contrats, ces taux ayant été décotés pour tenir compte du bénéfice fiscal lié à la double exonération (les contrats prévoyant même un rehaussement de taux en cas de modification du traitement fiscal…). Le Conseil d’Etat précise que c’est à la signature des contrats que le caractère anormal du taux doit être apprécié. Or, à cette date, les parties escomptaient bien bénéficier d’un avantage fiscal qui pouvait être retenu dans la fixation du taux. Le Conseil d’Etat décharge par conséquent le crédit-bailleur des rectifications fondées sur l’acte anormal de gestion. Rassurons-nous, une analyse fiscale erronée n’est pas synonyme d’anormalité.