Aux termes d’un arrêt rendu le 13 juillet 2022, la Cour de cassation s’est à nouveau prononcée sur l’édification d’une construction en violation d’un cahier des charges de lotissement et a, de manière inédite, infléchi sa position quant à la sanction encourue dans une telle hypothèse .
Dans cette affaire, le voisin souhaitait voir prononcer la démolition d’un immeuble d’habitation de six logements avec piscine édifié en violation des clauses d’un cahier des charges de lotissement imposant que les constructions nouvelles soient implantées « dans un carré de trente mètres sur trente mètres ». La cour d’appel compétente (CA, Aix-en-Provence, 11 mars 2021, n°18/10026) avaient constaté à ce sujet que :
- si la construction violait effectivement les règles de densité du cahier des charges du lotissement, ce dernier ne prohibait pas la réalisation des constructions collectives et autorisait que l’édification de constructions importantes ;
- la construction litigieuse n’occultait pas la vue des voisins, de telle sorte qu’il n’en résultait pour eux qu’ « un ressenti négatif » et non « une situation objectivement préjudiciable ».
La cour d’appel compétente a alors retenu qu’il était « totalement disproportionné de demander la démolition d’un immeuble d’habitation collective dans l’unique but d’éviter aux propriétaires d’une villa le désagrément de ce voisinage, alors que l’immeuble avait été construit dans l’esprit du règlement du lotissement et n’occasionnait aucune perte de vue ni aucun vis-à-vis ».
La Cour de cassation approuve le raisonnement des juges du fond en considérant qu’ils avaient fait « ressortir l’existence d’une disproportion manifeste entre le coût de la démolition pour le débiteur et son intérêt pour le créancier » de telle sorte que, par ces seuls motifs, « la demande d’exécution en nature devait être rejetée et que la violation du cahier des charges devait être sanctionnée par l’allocation de dommages-intérêts ».
La position de la Haute Juridiction dans cette affaire application illustre le principe fixé par les l’article 1221 du Code civil (bien que celui-ci ne soit pas visé dans le dispositif de l’arrêt), selon lequel il n’y a pas lieu à ce que le créancier d’une obligation poursuive son exécution en nature « s’il existe une disproportion manifeste entre son coût pour le débiteur de bonne foi et son intérêt pour le créancier ».
Cet arrêt rompt avec la jurisprudence constante de la Cour de cassation en la matière, selon laquelle la sanction en cas de constructions édifiées en violation d’un cahier des charges de lotissement était la démolition, indépendamment de l’existence ou de l’importance du préjudice, et sauf à ce qu’il existe une impossibilité d’exécution de la démolition (par exemple : Cass. 3ème civ., 18 mars 1974, n° 72-13.129. ; Cass. 3ème civ., 19 mai 1981 : Bull. civ. III, n° 101 ou encore Cass. 3ème civ., 9 mai 2007, n° 06-12.474).
Si cet infléchissement de la jurisprudence est inédit en matière de violation d’un cahier des charges de lotissement, il semble s’inscrire dans le prolongement d’autres décisions rendues par la Haute Juridition en matière de droit de la construction, qui ont introduit un contrôle de la proportionnalité de la sanction dès lors que celle-ci consiste a priori en la démolition de l’immeuble litigieux (par exemple : démolition pour cause de nullité d’un contrat de construction d’une maison individuelle – Cass. 3ème civ., 15 oct. 2015, n° 14-23.612 ; démolition pour violation d’une servitude – Cass. 3ème civ., 19 déc. 2019, n° 18-25.113).